Le bois est-il un matériau du passé ou du futur ?

La forêt et l’utilisation du bois sont plus que jamais sujets à controverse. D’une part, il existe un amalgame, entre les images chocs de la déforestation en zones tropicales et la réalité de la progression du patrimoine forestier sur le continent européen. D’autre part, une partie du grand public perçoit les entreprises du bois et les forestiers comme nuisibles à l’environnement et focalisés sur le profit. Or, la forêt et l’utilisation du bois jouent un rôle indispensable dans la réalisation des engagements environnementaux. Si le bois a toujours fait partie de notre vie, il est aussi notre avenir.

Le bois est définitivement un matériau du passé

S’il en est qui affirme que le bois est un matériau du passé, il est illusoire de prétendre le contraire. 

De – 58 à -50, lors de la conquête des Gaules, Jules César avait constaté l’importance vitale du bois dans la fabrication de ses armements et la construction de ses fortifications. 

En -218, quand le général carthaginois Hannibal entend soumettre Rome, il se rend rapidement compte que pour surmonter les obstacles naturels qui se dressent devant lui, il a besoin de bois, de beaucoup de bois. Du bois pour réchauffer ses troupes lors du franchissement des Alpes et encore du bois pour fabriquer radeaux et navires pour traverser le Rhône.

Les plus anciens témoignages de meubles en bois ont été trouvés dans la tombe de la reine Hetep-Hérès Ière, vers – 2550 et dans celle du pharaon Toutankhamon vers -1330. Ces éléments de mobiliers, constitués de fauteuils, lits, coffres, paravents et chaises à porteurs sont visibles dans les grands musées du monde.

En 1991, la momie baptisée Ötzi, « l’homme des glaces » est découverte en Italie dans le Val de Senales près de la frontière autrichienne. Ötzi date du Néolithique, il a environ 5 000 ans et, fait rarissime, il est entouré de son équipement de l’époque en bon état de conservation. Le bois est omniprésent dans cet équipement : un sac à dos et un carquois en armature de noisetier (Corylus avellana), des flèches en viorne lantane (Viburnum lantana) et en cornouiller (Cornus mas), une dague avec un manche en frêne (Fraxinus spp.), un outil avec un manche en tilleul (Tilia spp.). Une hache avec un manche en if (Taxus baccata) et un arc, également en if complétaient l’équipement. La hache d’Ötzi était munie d’une lame en cuivre, collée au bois avec du brai de bouleau. Ötzi et ses contemporains avaient déjà compris et analysé toute la palette des propriétés qu’offre le bois.

Le bois étant biodégradable par nature, les traces de son usage s’arrêtaient ainsi vers – 5000. C’était déjà une belle illustration d’un matériau du passé. C’était sans compter sur les explorations de l’équipe du professeur Larry Barham de l’université de Liverpool. Ses dernières fouilles archéologiques ont fait l’objet d’un article paru en novembre 2023 dans la célèbre revue scientifique « Nature ». Une structure en bois, assemblée par un système d’encoches taillées, a été mise à jour sous le lit d’une rivière de Zambie. Elle a été réalisée il y a 476 000 ans !

Cette découverte pose la question de l’humain capable de réaliser une telle structure. Homo sapiens n’étant signalé sur le continent africain il n’y a environ que 300 000 ans. Il s’agirait peut-être d’Homo heidelbergensis, connu dans la région à cette époque. Cet Homo heidelbergensis possédait des capacités techniques indéniables, mais des compétences intellectuelles qui laissent perplexes les scientifiques. 

Ce qui devient totalement fascinant avec le bois c’est qu’il s’inscrit dans les profondeurs de l’histoire humaine et de son intelligence. Aucun autre matériau ne peut prétendre la même chose. En remontant le temps depuis un demi-million d’années, on peut en faire la démonstration et montrer en quoi il est « un matériau compagnon » qui s’inscrit toujours dans une forme de modernité permanente. Que serions-nous sans bois ? Il reste toujours le berceau de notre enfance et le cercueil de notre dernier voyage. Ce compagnonnage, qui a traversé toutes les époques de l’histoire humaine, est à l’image des vieux couples, tellement habitués à se côtoyer, qu’ils ne savent plus s’apprécier.     

Mais il s’agit là d’une autre histoire, l’histoire d’un matériau incontestablement du passé, mais aussi du présent et très certainement du futur. Le matériau de toujours en somme…

Le bois est surtout un matériau d’avenir !

Le bois est devenu tellement évident au cours des millénaires passés que l’on ne s’est plus interrogé sur sa modernité intemporelle. Il serait temps…

 Si l’on se rappelle Ötzi, « l’homme des glaces », notre prédécesseur vieux de 5000 ans, l’un de ses équipements nous interpelle : son arc en If. Pourquoi en If ?  Ce n’était sans doute pas l’essence la plus courante dans les forêts de l’époque.

Si les sciences du bois n’existaient pas, l’observation, le pragmatisme et la diversité des essences présentes en forêt compensaient largement. L’arc d’Ötzi est révélateur de cette capacité d’analyse de nos très lointains ancêtres. Les technologies modernes permettent aujourd’hui de mesurer l’angle des microfibrilles de cellulose (AMF) de la couche S2 de la paroi cellulaire, et de déterminer ainsi les propriétés, en particulier mécaniques, qui en résultent. Plus l’AMF est élevé, plus le bois est souple. Le bois d’if présente un AMF des plus élevés qui soient… Ötzi l’avait déjà analysé et mis en pratique. Il avait compris que cette essence était de plus, résistante, stable et imputrescible. Ce qui ne gâchait rien. 

En sciences des matériaux, on recherche en général une combinaison de propriétés pour élaborer les matériaux du futur, rigidité, légèreté et coût faible de fabrication par exemple. L’histoire d’Ötzi montre assez bien qu’il était dans cette démarche des chercheurs d’aujourd’hui. Le chasseur cueilleur était déjà dans la modernité et c’était avec le bois. 

Si l’on considère que les sauts technologiques sont synonymes de modernité, ils sont souvent été l’apanage des périodes guerrières. L’histoire est truffée d’exemples, et le bois n’y échappe pas. 

Les premiers signes de l’intérêt technologique affirmé porté au bois, peut se trouver dans l’étymologie du métier d’ingénieur. Pour peu que l’on considère que l’ingénieur est toujours l’illustration du progrès…ce qui reste parfois à démontrer. En 1248, lors de la VIIème croisade menée par Saint-Louis, le mot « Angiguinors » fait son apparition. Il deviendra ensuite « ingignours » puis en 1537 « ingénier » et au final ingénieur pour désigner les spécialistes de la conception et du montage des machines de guerre, faites de bois et de cordages. L’histoire a sans doute oublié que les premiers ingénieurs étaient des spécialistes du bois, ce qui fait des ingénieurs ENSTIB, les ingénieurs les plus étymologiquement corrects qui soient. 

Pendant la Première Guerre mondiale (en 1918 l’Armée de l’air française possédait plus de 7000 aéroplanes, tous construits en bois), les travaux sur le bois se développent d’une façon intensive, pour amorcer ensuite un lent déclin. Nos sociétés se sont inscrites alors, dans une religion de progrès qui voulait que les matériaux les plus nouveaux, soient forcément les meilleurs.

Lors de la seconde guerre mondiale, on s’intéresse à nouveau au bois. Le chasseur bombardier De Havilland Mosquito DH-98 a servi au sein de la Royal Air Force et de nombreuses autres forces aériennes. Sa construction principalement en bois lui conférait une légèreté, une grande rapidité et une très faible signature radar. Ce qui lui a donné la réputation d’être le tout premier avion furtif de l’histoire. Et l’on s’interroge encore sur la modernité du bois ?

On ne reviendra pas ici sur le rôle du bois dans le développement de la marine, qu’elle soit de guerre ou commerciale, c’est un sujet largement documenté. Sans bois, il aurait fallu attendre bien longtemps avant que Christophe Colomb ne découvre le Nouveau Monde en 1492. Sans ouvrir un débat sur la réalité de cette découverte, que ce soit Amerigo Vespucci ou même les expéditions vikings dès le Xème siècle, les flottes de l’époque qui s’appuyaient sur la rigidité et la masse, ou les drakkars des peuplades du Nord qui recherchaient la légèreté et la souplesse, plaçaient le bois à la pointe de la modernité … 

Si le bois est un matériau présent dans tous les usages du quotidien, il est aussi une énergie. 

Jusqu’au milieu du XIXème le bois constituait l’une des clés de l’économie, principalement dans sa valorisation énergétique. Il a, de ce fait, grandement contribué au développement de l’industrie, forte consommatrice de charbon de bois. Ce n’est surement pas l’image populaire du charbonnier qui a été en mesure de donner un semblant de modernité à la « filière bois énergie » de l’époque. Les charbonniers d’autrefois étaient considérés comme des gueux vivants au fond des bois, ivrognes et bien souvent braconniers. Ce n’étaient pas des ambassadeurs de modernité, loin s’en faut. Les forges, fours à chaux, verreries, briqueteries et tuileries de l’époque, se sont installées au cœur des massifs forestiers pour s’approvisionner en charbon de bois. Cette implantation a bien souvent mené à une surexploitation ponctuelle qu’il faudra se garder de reproduire dans le contexte sociétal très sensible d’aujourd’hui. Il faudra aussi reconnaître et « remercier » les énergies fossiles qui ont sauvé les forêts françaises de leur lent déclin dont le point bas se situait vers 1800. C’est le remplacement du charbon de bois par le charbon et le pétrole qui a permis cette remontée spectaculaire des surfaces forestières françaises qui sont aujourd’hui (17 millions d’hectares en métropole) à la hauteur de ce qu’elles étaient au Moyen-Age et sont toujours aujourd’hui en progression constante.

Sur ce secteur de l’énergie, les énergies renouvelables constituent une incontestable solution au réchauffement climatique qui perturbe notre planète. Dans l’inconscient collectif, les énergies renouvelables sont principalement liées à l’éolien, au solaire, à la géothermie…etc. On oublie trop souvent ce qu’est la réalité des chiffres . La production primaire d’énergies renouvelables reste dominée en France par la production de bois-énergie (36 %, soit 125 TWh), l’hydraulique est à 17%, l’éolien à 11%, le solaire au environ de 5%. 

Entre la première rencontre de l’homme et du feu, la période du charbon de bois qui a permis la révolution industrielle et la crise des énergies d’aujourd’hui, le bois énergie a toujours été présent. Une présence qui n’a jamais été ni médiatique, ni spectaculaire, mais une présence et une modernité constante.

Le secteur de la construction bois mériterait à lui seul un long développement. Il reste le moteur économique de toute la filière. C’est le domaine emblématique qui donne aujourd’hui au bois, toute sa modernité et sa pertinence dans l’ensemble des problématiques du monde contemporain. En quelques décennies le bois construction est passé d’un usage purement traditionnel à une mise en œuvre dans les immeubles de grande hauteur. Il investit aujourd’hui massivement les villes dans les opérations de surélévations. Il est devenu le terrain d’expression d’une nouvelle architecture contemporaine.

L’évolution est d’importance, du Moyen-Âge au début de l’époque moderne, les bâtiments des villes sont majoritairement faits de bois. Puis l’usage du bois en ville recule progressivement. La pierre prend peu à peu la première place. Le bois se cache dans les combles et les charpentes. Au cours du XIXe siècle, l’usage du bois est progressivement abandonné pour les structures portantes. On lui préfère des matériaux nouvellement mis au point comme la fonte puis le béton armé ou l’acier. Paradoxalement le bois reste un matériau de construction très présent, que ce soit en Amérique du Nord ou dans les pays scandinaves. La France fait exception.

Pendant un temps le bois semble alors été oublié des architectes, il avait par ailleurs pratiquement disparu des programmes dispensés dans les 22 écoles d’architecture françaises. 

Mais il faudra attendre le début du XXIe siècle et l’apparition de nouveaux enjeux climatiques pour que l’éclaircie soit totale. La construction est responsable de près du quart des émissions de CO2 en France, le béton en est le principal producteur. Dans l’ensemble des matériaux de construction, seul le bois prélève le CO2 atmosphérique lors de la photosynthèse, c’est la séquestration. Utilisé dans des emplois durables, comme le bâtiment en est l’illustration, 1m3 de bois contribue à stocker durablement l’équivalent d’une tonne de CO2. Mieux encore, ce m3 de bois se substitue à l’utilisation d’autres matériaux de construction principaux contributeurs des changements climatiques. Même le législateur l’a compris, avec la réglementation liée au déploiement de la RE2020, pour tendre vers la neutralité carbone à l’horizon 2050.

De notre petite planète à l’espace, il y a une immense marche qui est en train d’être franchie. La Nasa et l’Agence spatiale japonaise travaillent sur un satellite… en bois de magnolia. « LignoSat », c’est son nom, devrait être lancé dans l’espace dès 2024.

Les premiers essais n’ont montré aucune déformation de la structure dans l’espace, l’absence de changement de masse et une résistance mécanique très élevée. Le satellite résiste mieux que d’autres aux changements brusques de températures et aux rayons cosmiques. L’espace étant en passe de devenir une poubelle, LignoSat, contrairement aux milliers d’objet qui encombrent l’espace, présente une combustion quasi complète lors de sa rentrée dans l’atmosphère. Le compostage n’est pas encore envisagé, mais qui sait ?

On ne peut conclure sur la modernité du bois. Elle ne fait que se poursuivre, discrète et en silence, ce même silence envoutant que celui des arbres qui grandissent. 

Lignosat, un satellite en bois de magnolia devrait être lancé dans l'espace en 2024
Lignosat, un satellite en bois de magnolia devrait être lancé dans l’espace en 2024

A cet égard on ne peut que s’inspirer des réflexions d’Egon Glesinger rassemblées dans son ouvrage « Demain l’âge du bois » paru en 1943 et reprenant en partie son travail de thèse de doctorat soutenue à Genève en 1931.  C’est un travail de visionnaire. Il aborde déjà le rôle du bois pour l’après-pétrole, sa place essentielle dans la construction. Il évoque les milliards de déshérités de l’après-guerre, et on peut que faire le parallèle avec les milliards de réfugiés climatiques qui se profilent aujourd’hui. Il évoque la révolution industrielle de la filière, l’intégration nécessaire de l’industrie forestière et de l’industrie du bois, l’avènement de la chimie du bois et la nécessité absolue de planter davantage d’arbres. 

Alors le bois : plutôt d’hier, d’aujourd’hui ou de demain ?

Historiquement, le bois a été l’un des premiers matériaux utilisés par l’homme, servant à construire abris, outils, meubles et moyens de transport. Il a joué un rôle crucial dans le développement des civilisations. 

En regardant vers l’avenir, le bois se positionne comme un pilier de la construction et de la conception durables. Les innovations technologiques ont révolutionné son utilisation, permettant la réalisation de structures plus grandes et plus résistantes. Ces avancées ouvrent la voie à une architecture qui réduit l’empreinte carbone, répondant ainsi aux préoccupations environnementales contemporaines. 

Par ailleurs, en tant que ressource renouvelable, capable de stocker le carbone, le bois s’inscrit dans une approche de gestion durable des ressources, essentielle pour lutter contre le changement climatique.

Cette dualité du bois, ancré dans le passé tout en étant tourné vers l’avenir, illustre sa capacité à se réinventer sans cesse. Le bois est donc un matériau essentiel dans la quête d’un avenir plus durable et respectueux de l’environnement. Ainsi, loin d’être un vestige du passé, le bois est un matériau dynamique qui continue d’évoluer et de s’adapter et de répondre aux défis de notre époque.

L’ENSTIB, Ecole Nationale Supérieure des Technologies et Industries du Bois, forment des spécialistes du matériau bois, Licence Professionnelle parcours Ameublement Bois ou Structures Bois, Master Architecture Bois Construction, Ingénieur Bois, Ingénieur de Spécialisation.

Merci aux Pr Pascal Triboulot et Marie-Christine Trouy pour leur contribution à l’écriture de cet article.